mortel (lova)

Les vieilles carcasses reflètent la lumière dorée du soleil, qui s'en va pour la nuit.
La lumière est belle ce soir. Elle diffère d'habituellement et semble même donner de la couleur au gris. Le corps affalé sur le capot d'un taco rouillé, la brise fraîche d'un automne récent se faufile entre ses doigts. Il ne se passe plus rien en ce moment, il n'y a plus que le vide et lui. Il faudrait peut-être que quelque chose puisse le remettre droit sur ses deux jambes, refaire jaillir l'incandescence de ses yeux. Il est venu ici presque inconsciemment, ou peut-être était-ce simplement ce jeu de l'esprit, cet acte manqué qui survient et explique chacun de ses gestes, et ses choix. Peut-être qu'il n'y a rien d'irrationnel, que tout s'explique et qu'on se force à se persuader, et non à se convaincre, qu'il y a toujours une cause logique à la conséquence.
Mais TJ n'en veut plus, de cette raison. Il faudrait réellement que quelque chose se passe maintenant. Il aurait pu vadrouiller dans les rues, titubant sur les trottoirs. Il aurait pu se retourner les idées en ingurgitant des substances acides, aller voir cette fille au coin de la rue qui lui fait toujours des remarques sur ses boucles et sa peau d'étranger, avec cette manière bien à elle de rouler les r et son regard lubrique.
Mais il n'y a rien de tout ça. Il est là, allongé sur ce véhicule aux roues folles, à écouter le bourdonnement sourd de l'autoroute qui passe à côté, mêlé aux aboiements des chiens presque sauvages. Une drôle de mélodie qui fait écho dans son âme. TJ attrape la roulée coincée derrière son oreille, cachée sous ses cheveux. Le feu illumine rapidement son visage et la chaleur envahit l'ensemble de ses pores. Pendant plusieurs secondes, il laisse la flamme s'agiter sous ses yeux, jusqu'à ce qu'elle s'évapore. Rapidement, la fumée l'entoure, et l'odeur presque sucrée de l'herbe envahit les alentours.
Sa colonne vertébrale s'aligne à la courbure du capot.
Il faudrait que quelque chose se passe, maintenant.

 

devant ses yeux bleus qui tournent au gris quand elle est triste,
il se passe des choses.
c'est pas des trucs de dingue, pas le genre qui passera aux infos,
mais dans l'regard de lova, plus c'est banal, plus c'est maladroit, plus ça devient beau.
elle est pas très loin, mais d'ta position ce serait un miracle d'la capter.
l'air frais caresse son cuir chevelu et, lorsqu'elle t'voit rapprocher la flamme près de ton visage,
la lumière chaude qui éclaire ta peau, la fumée grise qui t'entoure,
elle s'dit que c'est le moment parfait,
et lova, cachée derrière son appareil, elle appuie sur l'bouton.
y a un déclic sourd qui retentit entre l'espace vide qui vous sépare,
peut-être même que tu l'as entendu.
peut-être que tu l'as juste confondu avec le bruit des voitures,
peut-être que t'as pensé que c'était un chat errant.
lentement et bruyamment, la pellicule sort de l'appareil, entièrement noire,
et sous les yeux d'une lova silencieuse, l'image apparaît.
elle étudie ses couleurs, sa lumière, le grain particulier qui en ressort,
la profondeur de champ, le focus sur ton visage et la mèche embrasée qui l'illumine.

à lova, il lui faut bien cinq minutes pour s'extirper de son propre monde,
et s'rendre compte qu'elle te connait,
qu'elle t'a déjà photographié.
ça la frappe soudainement,
tes boucles foncées,
ta peau colorée,
ton corps élancé,
ce quelque chose qu'il y a dans ton regard,
un peu perdu, un peu confus,
mais qui dégage aussi une assurance qu'lova n'a pas.

discrète jusqu'à présent,
elle se ramène vers toi en marchant bruyamment,
quitte à t'faire peur si tu l'avais toujours pas remarquée,
elle grimpe sur l'capot à quatre pattes,
comme une enfant sans équilibre,
et t'plante la photo sous l'nez.
hé dis, t'es le gars du métro, non? j'te connais non?