à l'aube (johnny)

l'siège en plastique sur lequel lova est assise est encore plus dur que les drogues qu'elle prend,
inconfortablement installée, complètement épuisée,
lova on remarque plus ses cernes violettes que ses yeux bleus,
y a pas grand monde qui passe et pourtant y a toujours quelqu'un pour la dévisager.
la tête qui tourne, le regard dans le vide, elle a besoin de manger un truc mais elle ressent pas la faim,
elle est toute fine, elle nage dans ses vêtements comme elle nage dans le vide,
et quand elle essaie de se relever, elle se rend compte que c'était pas la meilleure idée.
l'soleil se lève mais tout le monde dort encore, y a un vent froid qui lui fait resserrer ses bras contre elle.
lova, elle plonge ses mains dans ses poches, elle cherche un chewing-gum solitaire,
mais tombe plutôt sur son paquet de clopes déjà à moitié vide.

elle en prend une entre ses doigts,
lova elle a les mains qui tremblent,
c'est toujours comme ça elle y peut rien,
son cylindre d'tabac s'retrouve coincés entre ses lèvres pleines,
et elle s'remet à tâter ses poches.
mais impossible trouver l'objet d'son désir, nulle part,
il rejoindra la liste de tout ceux qu'elle a perdu.
quand elle relève les yeux, la station à l'air vide,
mais y a des bruits d'pas pas loin d'elle et elle se retourne pour voir,
elle a d'abord un pas de recul, peut-être parce qu'elle a l'tournis.
lova elle a du mal à tenir debout, mais elle se rapproche quand même,
elle a un peu saigné du nez dans la nuit alors y a une croûte qui s'y est formé,
ses vêtements sont tous à moitié déchirés et bien trop légers pour l'temps actuel,
clairement c'est le genre de nana à qui tu secoues la tête gentiment avant d'dire
"désolé, j'suis pressé" et t'barrer en courant.

elle s'plante devant toi, elle s'demande si elle devrait sourire ou non,
puis au final elle ne sourit pas,
"b'jour m'sieur, t'aurais pas un petit briquet que j'pourrais emprunter?"
elle t'dit monsieur mais elle te vouvoie pas,
lova elle t'fixe de ses grand yeux, elle s'attend à une réponse
elle s'attend surtout à un non,
mais très vite elle voit des étoiles,
y en a partout et elle trouve ça plutôt joli, pendant un moment,
puis elle s'rappelle de ce quelle a prit cette nuit.
maladroitement, elle s’pose au sol, et elle t'regarde d'en bas
l'air de dire "bon alors, tu l'sors ce feu?"

Mes lunettes de soleil sont déjà vissées sur mon nez et pourtant le soleil n’est pas encore vraiment là. Mais voilà, le toubib a dit (en plus de toutes les autres recommandations) qu’il fallait que je préserve mes yeux. Alors on a fait des lunettes de soleil pour quand je mettrais mes pieds dehors, le temps du trajet de la maison au boulot et du boulot à la maison.
Les mains dans les poches, le regard caché, j’avance.
Et puis une silhouette, là-bas, petite et fébrile. Au début, je crois que c’est un garçon – avec les vêtements informes et le crâne rasé, on pourrait s’y méprendre. La silhouette se rapproche, bien décidée mais j’ai comme de la peur bête et injustifiée qui me rampe dans le ventre. Elle se poste, juste sous mon nez. Les longs cils, la bouche et la forme du visage me font changer d’avis.
C’est une fille.
Bizarrement, cette découverte me rassure – peut-être qu’à moitié, mais elle me berce un peu dans le soulagement.
- B’jour m’sieur, t’aurais pas un petit briquet que j’pourrais emprunter ?
Je bredouille quelque chose comme
- Euh … Je … J’vais chercher …
Mes paumes donnent de grandes tapes partout sur les poches de mon pantalon puis de ma veste. J’y trouve alors une boîte d’allumettes – je ne sais pas ce qu’elle fait là. Je fronce un instant les sourcils et je me rappelle de ma gazinière qui fonctionne vraiment avec du gaz et qui a besoin de ses allumettes.
Je relève la tête et le fantôme a disparu.
Il est par terre.
Je redresse alors mes lunettes dans mes cheveux pour, paradoxalement, y voir plus clair. Je me penche alors et tends ma boîte d’allumettes.
Le fantôme a des restes de sang sous le nez.
- Voilà.
Je me redresse.
Le silence s’installe.
- Mais … euh … ça va ? Vous avez l’air, je sais pas, fatiguée.
Elle peut rire, c’est vrai. Mes cernes doivent être à peu près équivalents aux siens.