IMMOLATE (BO)

Elle est là, derrière mon dos. Constamment. Comme une ombre qui ne nous appartient pas mais qui nous suit étrangement. Elle me fait parfois trembler, parfois me retourner rapidement quand il m’arrive de sentir un souffle tiède glisser contre ma nuque.
Je ne parle pas de la peur.
Mais bien de Beringer.
Elle est là et de plus en plus présente ces derniers temps. À chaque fois elle me pousse dans mes retranchements, me fait parfois travailler seul sur des projets qui me semblent monstres, plus grands que moi, trop grands pour moi. Souvent, elle marche derrière ma chaise, son regard inquisiteur lancé par-dessus mon épaule.
Elle me noue un peu la gorge, elle me fait parfois déboutonner le col de ma chemise. Il y a d’autres jours où elle me fait transpirer de colère, et je voudrais la prendre au cou, si fort, serrer mes doigts, lui dire d’arrêter cet acharnement, que j’ai rien fait pour mériter ça. Que je suis qu’un type, lambda, on ne peut plus normal, qui se contente d’aller travailler pour toucher sa paie en fin de mois. Qu’elle pourrait confier ces tâches aux autres.
Mais voilà.
Je n’ai pas l’étoffe d’un héros.
Tout ce que je sais faire, c’est me recroqueviller sur ma chaise, baisser les épaules et le dos en attendant sans protestation le prochain coup de fouet. Tout ce que je sais faire, c’est baisser les cils sur mon clavier en disant d’accord, je m’en occupe ou encore oui, ça sera fait.
Des mots sages et soumis.
Je n’ai pas besoin de regarder sur le côté pour savoir qu’elle arrive.
Sa démarche franche, déterminée, sûre d’elle.
Elle a le regard des femmes qui ont tout gagné, qui tiennent le monde au creux de leur paume. Qui décident de tout. Je pose alors l’œil sur elle, par-dessus mes lunettes, les sourcils un peu froncé. Ma bouche ne fait même plus l’effort d’esquisser le sourire de la politesse – ô combien hypocrite.
- Bonjour.
Je prononce simplement.